mercredi 23 juillet 2008

L'histoire comme on l'aime

Bikini: l'érotisme qui fait boum

Le XXème siècle est marqué par l’invention la plus suicidaire de l’homme: la bombe nucléaire. Mais il compte -malgré tout- un événement positif: la création du bikini.

Bikini1946

Tout commence le 1er juillet 1946: une bombe de 23 000 tonnes est lachée à neuf heures du matin sur l’atoll de Bikini, situé dans le sud du Pacifique. La bombe, baptisée Gilda, reproduit l’image d’une femme au corps parfait. Quand elle explose, un gigantesque champignon de 10 000 mètres de haut s’élève dans le ciel paradisiaque, réduisant un atoll en poussière radioactive. "C’est le premier test atomique officiel depuis la fin de la seconde guerre mondiale, explique Patrick Alac, journaliste de mode. Quatre jours plus tard, le 5 juillet, un petit scandale apparemment anodin a lieu dans une piscine publique de Paris où avait lieu un concours de beauté…"

Bikinipinup

Un créateur de mode, Louis Réard, profite de l’occasion pour présenter sa collection de maillots de bain. Nombre de visiteurs avaient remarqué une femme extrêmement peu vêtue et cela déjà bien avant le résultat du concours. Lorsqu’elle est appelée à monter sur le podium des finalistes, un murmure s’élève alors parmi les spectateurs. Ni la beauté, ni la célébrité de cette femme ne sont la cause d’une telle exclamation, mais plutôt le maillot de bain spécial qu’elle porte.» Deux rectangles avares de tissu couvrent les seins, retenus par un fil. Le bas, découpé devant en un petit rectangle laisse les hanches nues. Sommet de l’impudeur et de l’obscénité, seule une mince ficelle sépare les fesses ! Le scandale va durer presque 20 ans.

Michele Bernardini, une danseuse nue du Casino de Paris, est la personne toute désignée pour servir ce coup médiatique: elle n’a aucun scrupule à revêtir le mini-maillot. Quant au concours de beauté de la piscine Molitor, c’est le lieu idéal. Reste à trouver le nom du maillot. En ce mois de juillet, les événements politiques font la Une. Un peu avant Réard, le grand couturier Jacques Heim présente un modèle de maillot très osé appelé Atome.

Une actrice de l’époque (Rita Hayworth) est surnommée «bombe atomique» à cause de la chaleur sexuelle dont elle irradie. L’esprit du temps associe l’image d’une arme meurtrière et celle d’une fille séduisante dans un déshabillé provocant, le mélange d’un symbole d’amour et de mort… Réard s’inspire évidemment de l’actualité, pour porter un grand coup.

Annakournikova

Le scandale du bikini est pourtant étouffé par la censure. Aucun magazine n’en parle. La presse fait un boycott. Le bikini n’est mentionné nulle part, ni le jour suivant, ni les semaines suivantes, ni les années suivantes: silence complet.

On ne parle, cet été 46, que du célèbre maillot Atome de Jacques Heim (maintenant totalement oublié). Sur les plage de la Côte d’Azur, des avions tirent une banderole «L’Atome, le plus petit maillot du monde». Réard conteste aussitôt cette publicité : «Le Bikini – encore plus petit que le plus petit maillot du monde» ! Mais en vain. Les gardiens des bonnes moeurs veillent au grain.

Pinup

C’est seulement en 1948 que le magazine Vogue parle du premier deux-pièces, et encore du bout des lèvres… D’autres magazines comme Fémina citent Heim et le trouvent un peu trop «indécent». Un journaliste de Elle critique: «Cet été, on ne se déshabille pas, on se dénombrilise !».

Censuré par les médias, mis aux oubliettes, Réard se porte pourtant très bien: il habille les plus grandes stars du monde. Ses maillots ne peuvent être achetés qu’au 47 rue de Clichy, dans une boutique prestigieuse qui porte son nom. Son bikini n’a pas besoin de publicité, ni de presse. En 1965, il persiste et signe donc dans l’extrême en créant un bikini encore plus petit que le précédent: le sexy-bikini, précurseur du tanga brésilien.

Dès son apparition sur les plages, en 1949, le bikini est interdit par la loi: en Espagne, Italie et France, c’est la chasse aux sorcières ! En 1951, sous un flot d’injures, le journal du Vatican Osservatore Romano annonce que les Chevaliers de l’Apocalypse apparaitront sans doute en bikini. Les communistes disent que le bikini, en tant que marque de la bourgeoisie, attise la lutte des classes. Les féministes l’accusent de transformer la femme en objet de désir. Dans les piscines allemandes, le bikini reste interdit jusqu’aux années 70. Et pourtant…

Des centaines de magazines se mettent à couvrir l’élection de «Miss Bikini». Un journaliste américain affirme: «Le bikini est un maillot de bain dans lequel chaque homme aimerait voir la femme de l’autre mais pas la sienne.» En 1964, le «styliste de la révolution sexuelle», Rudi Gernreich invente le monokini, un maillot sans le haut qui laisse la poitrine nue. C’est à peine s’il est vendu à 3000 exemplaires dans les années 80, mais il permet au bikini de devenir un maillot presque bienséant. Du coup, les designers de mode s’en emparent.

On invente le bikini en peau d’ours, en cheveux, en fleurs de plastique, en algue, en pelouse, orné de diamants ou taillé dans du métal… Plus excentriques encore apparaissent le bikini gonflable, l’insubmersible, le bikini robe de mariée, l’auto-adhésif (un patch rond collé sur les seins), le jetable, le bikini peint sur le corps et le bikini ventilateur fait d’hélices alimentées par l’énergie solaire. Certains bikinis ne peuvent pas aller dans l’eau. D’autres, créés par des physiciens de l’aérodynamique, sont trop lourds pour être portés. D’autres sont si précieux qu’il leur faut une escorte de police.

Nikkisanderson

Provocant et immoral, le bikini doit surtout son succès au cinéma. Des réalisateurs l’utilisent pour donner à leur film un parfum de scandale et… remplir les caisses. Dans Et Dieu Créa la femme, Brigitte Bardot fait un plongeon remarqué en bikini-vichy. L’été suivant, des milliers de spectatrices portent le même à la plage. Dans Lolita, la jolie Sue Lyon bronze dans le jardin en petite tenue. Des millions d’Américaines l’imitent. Peau lisse, muscles ambrés, cuisses galbées, des corps de celluloïd portent le bikini sur grand écran avec une fausse innocence ambigue: Marilyn Monroe, Ursula Andress, Jayne Mansfield, Raquel Welch, Bo Derek et d’innombrables James Bond Girl… Tout leur art: rester naturelles comme si elles étaient correctement vêtues, alors que seuls quelques centimètres carrés de tissus les protègent du regard…

Le bikini repousse la barrière collective de la pudeur en montrant qu’on peut rester maitresse de son corps tout en en livrant 90%, voire pire, à la lubricité des spectateurs. Le bikini se porte comme un uniforme. Il impose au corps des normes de maintien ultra-strictes: rentrez le ventre, tendez la poitrine! Pas si libérateur que ça (au fond), le bikini met fin au tabou de la nudité mais invente le tabou de la cellulite. Impossible d’en porter un sans avoir, au préalable, passé des heures en club de gymn et imposé une diète stricte à son estomac.

Avec le bikini, le corps devient un objet d’exposition. «Culte du corps, obsession de la beauté et de la mode ont remplacé les aspirations intellectuelles et spirituelles de l’individu, remarque Patrick Alac. Ce corps soigné que l’on maintient en forme et que l’on décore de bikinis aussi minuscules que des bijoux n’est plus considéré comme l’enveloppe terrestre d’une âme immortelle mais il est devenu un but en soi

Maintenant, le bikini ne choque plus personne. Il n’est plus synonyme de libération sexuelle mais d’aliénation au diktat corporel. Jésus portait-il un bikini sur la croix? On raconte qu’un bikini blanc porté par Pamela Anderson aurait provoqué une série d’accidents de la route suivi d’une vague de procès contre cette campagne publicitaire: les conducteurs, perturbés, déconcentrés, empruntaient la mauvaise voie ! D’autres freinaient brusquement pour mieux voir la top-modèle.

Le Bikini nous fait croire en un monde peuplé de mannequins idéales qui portent leur nudité en triomphe derrière un cache-fente et deux cache-tétons. Il transforme la plage en paradis de corps nus et heureux -un paradis artificiel, mais la magie est là: on l’aime ce bikini, malgré la bombe nucléaire, malgré l’auto-destruction. Le bikini cache et révèle à la fois. Un cocktail explosif.

Un livre d’art débordant d’images alléchantes et d'infos: La Grande histoire du bikini, de Patrick Alac, éd. Parkstone, 18 €.

Extrait du journal Libération, 23 juillet 2008.

2 commentaires:

Novice a dit…

Merci Garg pour ce grand moment d'histoire!
Si seulement j'avais eu des cours de ce genre, j'aurai fini historien voire chercheur en bikini et micro-bikini!
Vraiment, tu viens d'ensoleiller ma journée et de me rendre moins bête.
Qu'est-ce qu'il est fort ce Garg, tu es un peu notre professeur Choron à nous.

padawan a dit…

Oui merci beaucoup Garg pour ce magnifique exposé très bien documenté et illustré! Là tu fais un carton plein!