mercredi 26 janvier 2011

La grosse pomme politique de Franck Scurti




[...] L'artiste français Franck Scurti a inauguré, le 10 janvier, son Hommage à Charles Fourier, dit La Quatrième Pomme, commande publique de la Ville de Paris.

On y voit une grosse pomme de métal, de plus de 1 mètre de diamètre sur laquelle est gravé un planisphère dont les lignes ont été adaptées à la forme du fruit. Pourquoi une pomme ? Parce que Fourier a souvent raconté qu'il avait commencé à concevoir son projet pour un monde nouveau et juste, un soir dans un restaurant parisien. Il y paya une pomme 14 sous alors que, dans les campagnes, pour 14 sous, on en avait 100. Ce qui le fit "soupçonner un désordre fondamental dans le mécanisme industriel ". Scurti qui, dans de nombreuses oeuvres, a mis en scène le "désordre fondamental" du monde actuel ne pouvait pas ne pas se saisir de l'anecdote. Si la pomme symbolique devient planisphère, c'est que le socialisme que Fourier voulait créer aurait été universel : ç'aurait été Le Nouveau Monde industriel et sociétaire, titre de son livre paru en 1829.

La pomme politique de Scurti surprend par son ampleur et son éclat, mais aussi par son emplacement. Elle est supportée par un cube dont les parois sont de verre, bleu, vert ou orangé selon les faces, l'angle de vue et l'heure du jour. Par transparence, on aperçoit un socle de pierre portant une inscription en hommage au philosophe.

LE SOCLE ÉTAIT VIDE

Ce socle portait une statue en bronze de Fourier assis et méditant, oeuvre de Jean-Emile Derré (1867-1938), sculpteur aux convictions anarchistes mais au réalisme banal. Elle avait été dressée là en 1899, à l'initiative du Comité pour la statue de Fourier et après des années d'effort pour recueillir des fonds nécessaires. Elle obtint un prix lors de l'Exposition universelle de 1900.

Ce prix ne l'a pas sauvée de la destruction. En application d'une loi de Vichy de 1941 prise afin d'assurer l'approvisionnement en métal de l'industrie de guerre nazie, de nombreuses statues parisiennes furent enlevées et fondues - dont celle de Fourier en 1942. Depuis, le socle était vide. Scurti l'a conservé et enveloppé d'un cube harmonieusement coloré, de sorte que le souvenir, moins de la statue de Derré elle-même que de sa destruction et des circonstances de celle-ci, se trouve désormais rappelé au passant.

A l'inverse, rien ne lui rappelle qu'en mai 1968, des étudiants des Beaux-Arts dressèrent une réplique en plâtre de l'oeuvre originale et que celle-ci fut prestement enlevée par une intervention de CRS. L'affaire est racontée dans le dernier numéro de L'Internationale situationniste.

Philippe Dagen Article paru dans l'édition du 25.01.11 du journal Le Monde

2 commentaires:

padawan a dit…

Édifiant, bravo, vraiment...

padawan a dit…

Un petit billet sympa retrouvé sur un blog à ce propos :
http://juralibertaire.over-blog.com/article-4501972.html